Nouvelle acquisition : un livre d'heures angevin du temps du roi René
Le 09/09/2021 à 00h03 par Marc-Édouard Gautier
Résumé

A l'automne 2020, la bibliothèque, aidée par le Fonds régional d'acquisition des bibliothèques, a acquis un très intéressant livre d'heures, copié et enluminé en Anjou vers 1465, qui témoigne de la diffusion de modèles provenant de la cour du roi René.

Livre d’heures manuscrit à l’usage de Paris et de Tours, peint probablement en Anjou vers 1465 par un suiveur du Maître d’Adélaïde de Savoie et du Maître du Boccace de Genève.

131 feuillets de parchemin, 18 x 13,4 cm

4 pleines pages peintes et 7 lettrines historiées

Angers, bibl. mun., Rés. ms. 3150

 

Les livres d'heures sont des livres de dévotion destinés le plus souvent aux laïcs. Ils ont connu à la fin du Moyen Âge un succès considérable. Souvent enluminés, ils composent une source majeure pour connaître les évolutions de la peinture du XIIIe au début du XVIe siècle. Quoique ses prières soient à l’usage des diocèses de Paris et de Tours, le nouveau livre d'heures de la bibliohthèque est d'un grand intérêt pour Angers en raison de son peintre et de ses enluminures.

L’enlumineur reste pour l’instant anonyme et inconnu par ailleurs. Ses peintures dans le nouveau livre d'heures de la bibliothèque, le ms. 3150, prouvent qu'il a eu accès à trois grands ateliers angevins du Maître d’Adélaïde de Savoie, du Maître de Marguerite d’Orléans et du Maître du Boccace de Genève, soit au cours de sa formation, soit comme collaborateur au sein des ateliers.

 

Le Maître d’Adélaïde de Savoie a d’abord été actif à Angers vers 1450 avant de poursuivre sa carrière jusque vers 1480 entre Poitou, Anjou et Touraine. Sa forte influence sur notre peintre se ressent  dans sa manière de peindre en tons plats, avec une palette saturée, presque émaillée, ainsi que dans la dimension sculpturale de ses personnages et dans ses marges florales au bel effet décoratif. Les visages ovoïdes des femmes et des anges de l'Assomption et de saint Catherine (cf. fol. 20 et 120) reprennent les enseignements du Maître d’Adélaïde de Savoie. On retrouve dans la lettrine historiée du suffrage à saint Michel de la nouvelle acquisition (fol 128) la même technique des personnages, singes ou acanthes peints en camaïeu d’or que celle adoptée par le Maître d’Adélaïde de Savoie dans les Heures Rotschild 2534 conservées à la Bibliothèque nationale de France (fol. 212, 217v).

 

BM Angers, ms. 3150

BnF, ms. Rotschild 2534

(singe en bas à gauche)

Angers, bibl. mun., Rés. ms. 3150

(singe en haut à gauche)

 

Le Maître de Marguerite d’Orléans a gravité entre les cours d'Angers, de Bourges et de Rennes entre 1420 et 1460. La Bibliothèque d'Angers a acquis en 2017 deux feuillets du Livre des merveilles du monde peints par lui, ainsi que trois pages peintes par son disciple, le Maître de Jean de Calabre. Son influence sur le peintre de la nouvelle acquisition de la bibliothèque se retrouve dans le saint Joseph de la Fuite en Egypte (fol. 15v) qui décalque le profil expressif d’un vieillard boiteux peint en marge d'un prestigieux manuscrit de Boccace par le Maître de Marguerite d’Orléans (Chantilly, musée Condé, ms. 858).

 

ff
Chantilly, musée Condé, ms. 858 Angers, bibl. mun., Rés. ms. 3150

 

 

Plus remarquable encore est la reprise des modèles iconographiques du Maître du Boccace de Genève, l’un des peintres favoris de la cour du roi René à Angers. La très belle page du suffrage à sainte Catherine du présent manuscrit (fol. 120) dérive directement, pour la scène centrale, de la sainte Catherine devant sa roue à livres peinte par le Maître du Boccace de Genève dans les heures dites de Marie Stuart peintes à Angers vers 1455-1465.

 

Heures dites de Marie Stuart, peintes à Angers par le Maître du

Boccace de Genève, vers 1455-1465 (Coll. Héribert Tenschert)

 

Quant aux grotesques des marges, l’homme armé d’un cimeterre chevauchant un oiseau, le singe assis sur un dromadaire et l’éléphant jouant du psalterium sont de fidèles copies des grotesques du premier feuillet du traité de Flavio Biondo peint à Angers vers 1460-1465 par le Maître du Boccace de Genève pour le frère du roi René, Charles comte du Maine (Lisbonne, Biblioteca nationale, ms. il. 92, fol. 1).

 

Lisbonne, Biblioteca nationale, ms. il. 92 Angers, bibl. mun., Rés. ms. 3150

 

Plusieurs autres grotesques de ce manuscrit sont d'un grand intérêt. Le singe chaussant des lunettes pour examiner les hémorroïdes d'un comparse ne manque pas d'humour (fol. 15v). Autour de la scène du roi David faisant pénitence, un couple joue aux cartes avec de rarissimes cartes ovales tandis que deux hommes se disputent les danses d'une femme sur les airs d'un joueur de galoubet et tambourin (fol. 47).

 

Derrière le discours moral de ces images qui invitent sans doute à rejeter les jeux de l'amour et du hasard, cette page offre l'une des plus anciennes attestations de jeux de cartes ovales, après l'exemple fourni par le recueil des oeuvres d'Alain Chartier possédé par Antoinette de Meignelay, peint dans les années 1455-1460 conservé à New Haven (Yale University, Beinecke Library, ms. 1216, fol. 102) et peu avant l’unique jeu de ce type subsistant, daté de 1475-1480 (New-York, The Cloisters Museum).

 

Jeu de cartes ovales conservé au Cloisters Museum de New York Angers, bibl. mun., Rés. ms. 3150

 

Deux hommes se disputent les danses d'une femme sur les airs d'un joueur de galoubet et tambourin

Angers, bibl. mun., Rés. ms. 3150

 

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