150 ans après.
La bibliothèque a redécouvert et classé en juin un remarquable fonds de caricatures et de journaux sur la chute du Second Empire, les débuts de la Troisième République et la Commune de Paris.
Aux marges d'un legs
En décembre 1895, la Bibliothèque municipale d’Angers intégrait à ses collections un bel ensemble d’environ 150 livres de moralistes du XVIIe au XIXe siècle légués par Camille de Virmond (26 mars 1828 - 15 avril 1893). Près d’un mètre linéaire de documents en vrac de 1870-1871 s’ajoutait à ces volumes. L’approche des 150 ans de la chute du Second Empire et de la Commune de Paris imposait de se pencher sur ce fonds resté en déshérence. Il vient d’être classé en une quinzaine de boîtes. Le catalogage pièce à pièce est en cours, riche en découvertes !
Journaux, affiches et caricatures
Un tiers du fonds est constitué de journaux. Plus de 125 titres y figurent. À quelques exceptions près, la plupart ont été créés après la libéralisation de la presse le 11 mai 1868. En supprimant le contrôle préalable à la création d’un journal, cette loi permet un développement considérable du nombre de titres de presse et de leur tirage. Cet essor rend la justice incapable d’endiguer la forte radicalisation du discours politique qui prélude à la chute de l’Empire. Nombre de ces titres n’ont cependant eu qu’une durée d’existence éphémère. Certains n’ont paru que le temps de quelques numéros et sont devenus rarissimes. Le fonds Camille de Virmond est riche de plusieurs collections complètes de ces titres qu’on ne pouvait jusqu’à présent consulter qu’à Paris, à la BnF, à la fondation Thiers ou à l’Institut de France. C’est tout particulièrement le cas de plusieurs journaux éphémères parus aux premiers jours de la proclamation de la république en septembre 1870 et aux jours houleux de la Commune entre la mi-mars et début mai 1871.
Nombre de ces journaux sont illustrés de caricatures. Outre la presse, le fonds se compose également, pour moitié, de caricatures en feuilles volantes transmises sous le manteau, placardées aux murs ou vendues en supplément de journaux. Toute l’effervescence et la violence des événements politiques, sociaux et militaires des années 1869-1871 transparaissent dans ces centaines de feuillets. L’assassinat du journaliste Victor Noir par Pierre Bonaparte en janvier 1870, l’impopularité croissante de la famille impériale et de Napoléon III, les premiers jours triomphalistes du conflit contre la Prusse, la chute de l’Empereur à Sedan, les intrigues politiques qui agitent les premiers mois de la fragile république, les échecs militaires, la famine et les massacres qui émaillent les deux sièges de Paris au premier semestre 1871 sont croqués avec rage, humour ou dérision.
À cet ensemble s’ajoutent trois boîtes de chants politiques sur des airs populaires diffusés en feuilles, de pamphlets et d’affiches de propagande.
Badinguet au pilori. Poème extrait des Châtiments de Victor Hugo accompagné d'une gravure anonyme en couleur, imprimée à Bruxelles pour être placardée dans les rues.
Un agent de l'Empire en Belgique
Sans exclusive, l’ensemble présente une dominante politique nettement républicaine, voire socialiste, loin des idées, semble-t-il, du donateur du fonds, Camille de Virmond. L’équipe patrimoine de la bibliothèque a pu reconstituer sa généalogie. Camille de Virmond et son frère jumeau Ludolphe sont, par leur mère, arrières-petits-fils de Julien-Camille Le Maignan (1746-1812), député de Baugé pour le Tiers-États en 1789, conventionnel non régicide puis sous-préfet de Baugé sous le Consulat. Leur grand-père maternel est le
carbonaro Martial Sauquaire-Souligné (1768-1843) condamné à mort sous la Restauration et dont David d'Angers a tiré le portrait en médaillon. Ils sont également neveux du député républicain de la Sarthe en 1848, Joseph Degousée (1795-1862). Leur père, Charles-Ludolphe de Virmond (1794-1864) est un ancien officier allemand protestant (et non russe comme l'affirmait Célestin Port), naturalisé Français en 1823, propriétaire et bâtisseur du château de Parnay à Genneteil. Hommes de lettres, collectionneurs et rentiers, les deux frères Camille et Loudophe s’installent à Bruxelles et y lancent en mai 1865 un bimensuel puis hebdomadaire, Le Chérubin, journal politique, satirique et littéraire. Loudolphe, rédacteur en chef, y tient sous le pseudonyme de Philippe de Loudolle la chronique littéraire, tandis que Camille signe les articles politiques sous le nom de Paul d’Ève. Ils collaborent également de façon occasionnelle à d’autres journaux, notamment à rebours de leurs convictions, dans la feuille républicaine L’Espiègle en août 1865 ou au Franc-Parleur belge. Très vite cependant, sous couvert de défendre le « principe monarchique (belge) contre le principe républicain », leurs positions très bonapartistes les font rapidement accuser d’être « vendus au gouvernement français, payés par lui sur les fonds secrets » (Histoire d’une infamie, p. 13). Belges de tous bords les soupçonnent de défendre les projets d’annexion de la Belgique par la France régulièrement attribués à Napoléon III. L’accusation contre les frères Virmond n’est sans doute pas infondée, tant le gouvernement français est préoccupé de recruter ou d’envoyer en Belgique auxiliaires, mouchards ou polémistes pour y contrer l’opposition républicaine en exil. La défense maladroite des jumeaux qu’ils rapportent dans leur Histoire d’une infamie en 1868 et leurs procès contre L’Espiègle les contraignent à cesser de publier le Chérubin en janvier 1869. Leur tentative de créer à Bruxelles un nouveau journal en 1870, Le Mémorial, organe du bon droit échoue pareillement.
Sans doute sont-ils rentrés en France après Sedan. Demeurent-ils à Paris pendant le siège et la Commune ? Persévèrent-ils dans le journalisme ? Nous n’avons pour l’instant guère retrouvé leur signature dans la presse de 1871. Toutefois, ils ont pu avoir un accès de première main à nombre de publications communardes. Le fonds révèle également le maintien de contacts avec Bruxelles à travers des placards ou pamphlets édités par Vital Puissant alliant caricatures et extraits des Châtiments de Victor Hugo.
La vitrine du Trésor du mois de juillet 2020 évoque la fin du Second Empire en privilégiant ces péripéties belges des frères de Virmond et quelques pièces rarissimes dans les collections publiques françaises.
Plan de classement du fonds
1 - Bibliothèque de moralistes
5 - Chants, pamphlets, affiches de 1870-1871
Œuvres exposées
1. Histoire d'une infamie, suivie de l'histoire de divers incidents / par Philippe de Loudole [Loudolphe de Virmond] et Paul d'Eve [Camille de Virmond]
Bruxelles, 1868 [cote 100289]
L'exemplaire est dédicacé par Loudolphe de Virmond à Paul Monden-Gennevraye, président de chambre à la Cour Impériale d'Angers.
2. Le Chérubin : revue satirique et littéraire de la quinzaine [puis] journal politique, satirique et littéraire / dir. de la publ. Paul D’Eve [Camille et Loudolphe de Virmond]
Bruxelles, mai 1865-janvier 1869 [cote DP 94]
3. Ho ! He ! L’Prussien
Lithographie du caricaturiste Achille Lemot (1846-1909)
La guerre franco-allemande est déclarée le 19 juillet 1870. Au début du conflit, les Français sont persuadés de vaincre facilement les Prussiens. [cote provisoire 001084]
4. La Capitulation de Sedan
Lithographie de Louis Gabillaud
Le 2 septembre 1871, à l’issue du désastre militaire de Sedan, Napoléon III est fait prisonnier par les Prussiens et capitule. C’est la fin du Second Empire et la proclamation de la IIIe République.
[cote provisoire 001084]
5. Badinguet à la Tête d’Âne
Gravure anonyme imprimée à Bruxelles par Vital Puissant en 1871.
Badinguet est le surnom satirique de Napoléon III. En tournant l'image, apparaît une tête d'âne.
[cote provisoire 001084]
6. La Fin : Badinguet en surveillance à Wilhelmsoehe (Cassel)
Gravure anonyme et poème de Victor Hugo imprimés à Bruxelles par Vital Puissant en 1871.
Emprisonné, Napoléon III est placé en résidence surveillée au château de Wilhelmshöhe, où il arrive le 5 septembre 1870 et y demeure jusqu'au 19 mars 1871. Victor Hugo s’est opposé à Napoléon III lors du coup d’état de 1851. Banni, il est resté en exil 19 ans. Il jubile de voir tomber l'empereur qu’il méprise et surnomme Napoléon-le-Petit, par comparaison avec Napoléon Ier, Napoléon-le-Grand. [cote provisoire 001084]
7. Badinguet au pilori
Gravure anonyme et poème de Victor Hugo impmrimé à Bruxelles en 1870 ou 1871.
Ce poème de Victor Hugo tiré des Châtiments (1852), ici uniquement dans sa dernière partie, évoque le bagne de Toulon sous la tyrannie de Napoléon III. Le dessin oppose Napoléon Ier et Napoléon III affublé de toutes ses tares : coup d’état du 2 décembre 1851, les mouchards, le bagne, la corruption, l’expédition du Mexique, la défaite de Sedan, la captivité en Allemagne... [cote provisoire 001084]
Généalogie de Camille de Virmond