Marcel Jouhandeau, Brigitte ou La Belle au bois dormant. Lithographies de Marie Laurencin. Paris, Éditions de la Galerie Simon, 1925. Reliure signée Nobuko Kiyomiya, 2003. Collection Maurice Houdayer. Rés. C20029

Angers, berceau d'une vocation

Née en 1961 à Saitama au Japon, Nobuko Kiyomiya découvre la reliure en 1994, lors de son premier séjour en France, à Angers. A quelques pas de l’université où elle suit des études linguistiques pour devenir interprète, Nobuko Kiyomiya s’inscrit par curiosité dans l’atelier du relieur Jacques Lherbette, boulevard Ayrault. Le passe-temps devient rapidement vocation : la jeune femme décide de faire son métier de cet art exigeant, inconnu de son pays natal, où le livre de luxe est simplement cousu de fils de soie et protégé d’un étui. Après une première exposition à la librairie Candide, rue Montault, en 1996, Nobuko poursuit pendant deux ans sa formation à l’Atelier d’Arts Appliqués du Vésinet auprès de Florence Jumelle, Florent Rousseau et Sün Evrard. D’abord installée au Japon, où elle échoue à promouvoir cet art du livre occidental, elle retourne en France et ouvre un atelier à Paris, en 2000. Une rencontre décisive avec Maurice Houdayer, collectionneur, président des Amis de la Reliure Originale et organisateur de l’exposition de reliures annuelle Ephémères, l’introduit dans le prestigieux cénacle des relieurs d’art. Elle bénéficie également du soutien de la librairie Fata Libelli, de la librairie des Argonautes ou encore de la librairie Blaizot, qui organise en 2017 une exposition rétrospective de ses créations. Elle participe à des expositions collectives au Palais des Beaux-Arts de Lille en 2004, à la Bibliotheca Wittockiana, à Bruxelles, en 2005 et à la Bibliothèque historique de la ville de Paris en 2007, aux côtés de Paule Ameline, Daniel Knoderer, Edgar Claes, Claude Honnelaître, Monique Mathieu ou même Alain Lobstein. Le cercle de ses commanditaires, d’abord réduit à son premier acheteur angevin, qui lui est resté fidèle depuis 1996, s’élargit rapidement à la fine fleur de la bibliophilie actuelle, en passant par des institutions majeures comme la Bibliothèque nationale de France.

Fidélité et renouveau

« Décoratrice » plus qu’architecte du livre, Nobuko Kiyomiya reste fidèle aux principes séculaires de la reliure à décor : protéger le livre et garantir ainsi la pérennité de son contenu, tout en conférant à l’ouvrage un caractère d’unicité. Elle emploie essentiellement des matériaux traditionnels, papier, textile et cuir et respecte la forme du livre, au contraire d’un Daniel Knoderer, dont les plats présentent des contours asymétriques qui débordent largement du corps de l’ouvrage et déstructurent la silhouette du livre.

Michel Butor, Le Corbeau revient vers la côte Nord-Ouest, Nice, Jane Otmezguine, 1998. Reliure signée Daniel Knoperer, 1999. Collection Maurice Houdayer. Rés. D895

Le travail des peaux, élargies depuis le début du XX^e siècle au box, au buffle ou au serpent, reste fidèle chez l’artiste nippone aux techniques fondamentales de la reliure : mosaïque (Farouche à quatre feuilles), teinture, incrustation, ou encore ponçage pour parer la peau au plus fin (la peau de serpent dans Toxique). L’art de Nobuko réside avant tout dans la création d’effets de matière inattendus : plissés délicats du cuir, éléments flottants, comme non fixés, conférant un caractère aérien et ondoyant au décor (La Belle au bois dormant), relief obtenu avec de la mousse ou des fragments de coquilles d’œuf (Farouche à quatre feuilles), introduction choisie de matériaux venus d’Orient, comme les perles de Birmanie.

André Breton, Lise Deharme, Julien Gracq, Jean Tardieu, Farouche à quatre feuilles, Paris, Bernard Grasset, 1954. Reliure signée de Nobuko Kiyomiya. Collection Maurice Houdayer. Rés. C20053. Détail : décor de coquilles d’oeuf mosaïquées de box gris ardoise et anthracite

Marcel Jouhandeau, Brigitte ou La belle au bois dormant. Lithographies de Marie Laurencin. Paris, Éditions de la Galerie Simon, 1925. Rés. C20029. Lanières de maroquin rose à peine fixées, comme flottantes, et perles de Birmanie cachées dans les replis du vinyle gris tourterelle

Françoise Sagan, Toxique, Paris, Julliard, 1964. Illustrations de Bernard Buffet. Reliure signée Nobuko Kiyomiya. Collection Maurice Houdayer. Rés. C20030. Détail : peau de reptile poncée et finement parée

Un art de la suggestion

"La reliure décorée n'est pas seulement une belle couverture, mais une invitation à ouvrir le livre" (Nobuko Kiyomiya)

Héritage de sa passion pour la langue et la littérature française, Nobuko lit tous les livres qu'elle relie et s'applique à en évoquer le contenu. Ses créations ne sont pas illustratives, comme pouvaient l'être les reliures du début du XX^e siècle (cf l'exemplaire de Gaspard de la Nuit relié par Charles Meunier, conservé sous la cote Rés. C19927), mais suggestives du thème et de l'esprit du livre, dont elle offre ainsi comme un équivalent artistique. Pour La Belle au bois dormant, Nobuko choisit une pièce de vinyle tourterelle froncé et replié, incrusté de perles pastel, entremêlé de minces bandes verticales libres en maroquin rose, une doublure et des gardes de peau en velours rose. Autant que le texte lui-même, Nobuko évoque les délicates lithographies de Marie Laurencin.

Marcel Jouhandeau, Brigitte ou La belle au bois dormant. Lithographies de Marie Laurencin. Paris, Éditions de la Galerie Simon, 1925. Rés. C20029. Détail

A l'opposé, le sombre et venimeux Toxique de Françoise Sagan, illustré par le peintre expressionniste Bernard Buffet, se couvre de buffle noir, ouvert sur un décor central de papier peint brique recouvert de peau de reptile poncée et parée très fine, laissant voir des jours.

Françoise Sagan, Toxique, Paris, Julliard, 1964. Illustrations de Bernard Buffet. Reliure signée Nobuko Kiyomiya. Collection Maurice Houdayer. Rés. C20030

Œuvre signée de quatre écrivains, André Breton, Lise Deharme, Julien Gracq et Jean Tardieu, Farouche à quatre feuilles présente une reliure de box gris ardoise, un décor de coquilles d'oeuf recouvertes de box gris ardoise et anthracite, et un jeu de quatre franges de veau rouille plissé, ondoyant depuis le centre des plats et formant comme un étonnant vortex de cuir.

André Breton, Lise Deharme, Julien Gracq, Jean Tardieu, Farouche à quatre feuilles, Paris, Bernard Grasset, 1954. Reliure signée de Nobuko Kiyomiya. Collection Maurice Houdayer. Rés. C20053.

A l'opposé d'un August Kulche, qui considère les plats d'un livre "comme une page blanche" invitant le relieur à la pure expression de soi, Nobuko Kiyomiya prône le dialogue artistique avec l'auteur ou l'illustrateur du livre.

Artiste du livre renommée, Nobuko Kiyomiya n'a jamais oublié son maître angevin Jacques Lherbette qui a su lui transmettre, au-delà d'un savoir-faire technique, des vertus essentielles : effacement de soi, goût du recueillement, discipline du geste, hospitalité intellectuelle. L'hommage qu'elle rend au relieur défunt sonne comme un vibrant hommage de la transmission : "S'il n'avait pas été mon professeur, peut-être n'aurais-je pas eu envie de devenir relieur professionnel".

Les reliures seront présentées lors du prochain samedi du patrimoine le samedi 3 juin 2023 à 15h30, salle de l’Académie (non accessible aux fauteuils roulants).

Indications bibliographiques :

Arts et métiers du livre, n° 278 (mai-juin 2010) et n° 322 (septembre-octobre 2017). Conservé sous la cote CP 717

Reliure contemporaine au Grand Palais. Exposition organisée par la Société française Les amis de la reliure, Paris, 2014. Conservé sous la cote DL B107246

Regard(s) sur la reliure contemporaine en France, 1980-2007, Paris, Faton, 2008. Disponible en salle d'étude sous la cote 086.302 REG