La Condamine (1701-1774), un esprit encyclopédique
Le 28/02/2024 à 12h38 par Marie-Luce Fabre
Résumé

Explorateur, naturaliste, géodésiste, Charles-Marie de La Condamine est mort il y a 250 ans.

La Bibliothèque met aujourd’hui en lumière les multiples découvertes effectuées lors de son expédition en Amérique du Sud.

 

Charles-Marie de La Condamine, par Quentin de La Tour

pastel, 1753

Frick Art and Historical Center, Pittsburgh

 

De La Condamine, aujourd’hui,
Entre dans la troupe immortelle.
Il est sourd : tant mieux pour lui !
Mais pas muet : tant pis pour elle !

 

(Épigramme de Piron commentant l’entrée de La Condamine à l’Académie française)

 

Personnalité originale aux talents variés, La Condamine est au centre de l’effervescence intellectuelle de son temps. Il fréquente les philosophes, les scientifiques dont il est l’ami (Maupertuis, Buffon) et parfois le rival. Lors de sa collaboration à l’Encyclopédie, ses relations avec Diderot ne sont pas toujours cordiales et celui-ci en dresse un portrait peu flatteur, malgré l’estime en laquelle il le tient : " J’ai commencé la semaine par me quereller avec La Condamine. Je ne saurais m’accommoder de ces gens stricts. Ils ressemblent à ces écureuils du quai de la Ferraille qui font sans cesse tourner leur cage" (lettre de 1762).

 

Quoi qu’il en soit, son apport à la géographie, à la botanique, à l’histoire naturelle est considérable, fruit d’une curiosité toujours en éveil. Il acquiert notamment une connaissance sans égale de l’Amérique du Sud (Pérou, Équateur, Chili, Amazonie, Guyane, Brésil) grâce aux expéditions auxquelles il prend part et qui constituent une période décisive de son existence.

 

 

 

Pierre Bouguer,

Traité du navire, de sa construction et de ses mouvemens,

Paris, chez Jombert, 1746

Bib. mun. SA 3994

 

En 1735, Pierre Bouguer (1698-1758) fait partie de l’expédition dirigée au Pérou par La Condamine. Celui-ci est chargé par l’Académie des sciences de mesurer un arc du méridien à l’équateur, afin de vérifier l’hypothèse de Newton selon laquelle la terre n’est pas parfaitement sphérique, mais renflée près de l’équateur et aplatie aux pôles. La mésentente croît rapidement entre les deux géodésistes, dont les travaux se déroulent dans des conditions difficiles, voire hostiles, au cœur de la Cordillère des Andes.

En 1743, Bouguer rentre à Paris où il expose comme définitifs ses propres calculs, sans attendre le retour de La Condamine, qui a entrepris la descente de l’Amazone. Par la suite, la polémique s’intensifie, chacun revendiquant les résultats obtenus, et ne s’éteint qu’avec la mort de Bouguer. Astronome, mathématicien, spécialiste de l’architecture navale et de la théorie de la navigation, il avait été l’un des premiers, en 1734, à utiliser les symboles ≥ (supérieur ou égal) et ≤ (inférieur ou égal). Son nom a été donné à deux cratères, sur la lune et sur Mars.

 

 

Carl von Linné, Species plantarum, exhibentes plantas rite cognitas…, Tome I

Holmiae, Impensis Laurentii Salvii, 1753

Bib. mun. SA 1871
 

Au XVIIe siècle, les jésuites espagnols découvrent les vertus du quinquina, dont certaines espèces présentent une écorce médicinale riche en quinine, aux propriétés fébrifuges et antipaludiques. L’arbre, mal connu des botanistes européens, est étudié en 1737 par La Condamine et Joseph de Jussieu dans la province de Loja (aujourd’hui en Équateur), où pousse la meilleure espèce.

C’est en s’appuyant sur les conclusions du mémoire sur « l’arbre du quinquina », adressé par La Condamine à l’Académie des sciences que Linné crée le genre Cinchona et l’espèce Cinchona officinalis (aussi dénommée quinquina gris) qui apparaît pour la première fois dans sa nomenclature en 1753.

 

 

Charles-Marie de La Condamine,

Relation abrégée d’un voyage fait dans l’intérieur de l’Amérique méridionale. Depuis la côte de la mer du Sud jusqu’aux côtes du Brésil et de la Guiane, en descendant la rivière des Amazones,

à Paris, chez la Veuve Pissot, 1745

Bib. mun. H 622

 

La Condamine est le premier scientifique à effectuer une descente complète de l’Amazone – aussi nommée Marañon – en radeau depuis Jaén (Pérou) jusqu'à Pará (Belém). Parti de Cuenca le 11 mai 1743, il atteint Cayenne le 26 février 1744, après avoir parcouru près de 4 800 kilomètres.

Il est à la recherche des mythiques Amazones censées habiter ces contrées. Perplexe face aux témoignages recueillis à ce sujet, il conclut sans se prononcer : « Si jamais il y a pu avoir des Amazones dans le monde, c'est en Amérique », où la triste condition des femmes indiennes « a dû leur faire naître l'idée et leur fournir des occasions fréquentes de se dérober au joug de leurs tyrans ».

Ce voyage lui permet de multiplier les observations dans les domaines les plus divers, et de lever une carte précise du cours du fleuve. Il décrit notamment le Pongo de Manseriche, « fameux détroit », et enquête sur la communication possible de l’Amazone avec l’Orénoque.

Rien n’échappe à son inépuisable curiosité qui lui fait découvrir l’hévéa ou l’utilisation du curare. Il analyse les propriétés et les usages du caoutchouc naturel, qu’il baptise ainsi par homophonie avec les termes quechua désignant l’hévéa (Cao signifie « bois » et tchu « qui pleure »).

« La résine appelée Cahuchu dans les pays de la province de Quito, voisins de la mer, est aussi fort commune sur les bords du Maragnon, et sert aux mêmes usages. Quand elle est fraîche, on lui donne avec des moules la forme qu'on veut ; elle est impénétrable à la pluie ; mais ce qui la rend plus remarquable, c'est sa grande élasticité […] ».

Il étudie le quinquina, s’intéresse aux mœurs des Indiens, à leurs langues. Il est notamment frappé par le langage - aujourd’hui éteint - des Yameos « d’une difficulté inexprimable », et leur prononciation d’où les voyelles sont presque absentes. 

Il dessine et identifie de nombreux animaux, tels le colibri qui porte désormais son nom - « bec-en-faucille de La Condamine » (Eutoxores Condamini) -, le condor des Andes, le lamantin d’eau douce, l’agami trompette, le tapir.

 

Bec-en-faucille de La Condamine, Eutoxores Condamini

 

 

 

 

Jacques-Nicolas Bellin,

Description géographique de la Guyane, Paris, Didot, 1763

Bib. mun. H 620

 

Parvenu à Cayenne en 1744, La Condamine reprend ses relevés géographiques pour rectifier les cartes de la région, trop imprécises.

Dans son ouvrage, le cartographe Jacques-Nicolas Bellin indique qu’il fonde sa description de la Guyane portugaise sur la Relation abrégée de La Condamine, et cite à plusieurs reprises les relevés de latitude et longitude effectués par l’explorateur. Il note ainsi : « Le seul point fixe de longitude que j’aie, est la ville de Cayenne, où elle a été observée par M. de La Condamine en 1744, de cinquante-quatre degrés trente-cinq minutes à l’occident du méridien de Paris ».

Il évoque également le phénomène de la « pororoca », mascaret ou vague déferlante qui se forme à l’embouchure de l’Amazone, flux marin spectaculaire observé et expliqué par La Condamine, qui en a éprouvé les effets en naviguant dans cette zone.

 

 

 

Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon,

Histoire naturelle, générale et particulière, avec la description du Cabinet du Roi,

tome XV : le mico

Paris, Imprimerie Royale, 1767

Bib. mun. Rés. SA 1688

 

Présent pendant 10 ans (1735-1745) en Amérique du Sud, La Condamine y collecte de précieuses informations sur différentes espèces de poissons, quadrupèdes, reptiles, oiseaux, qu’il observe dans leur environnement naturel. Un mico (ouistiti argenté) lui est offert par le gouverneur de Pará. Il était « l’unique de son espèce qu’on eût vu dans le pays ; le poil de son corps étoit argenté et de la couleur des plus beaux cheveux blonds, celui de sa queue étoit d’un marron lustré approchant du noir ». Il ne survit pas au voyage de retour en France, au terme duquel La Condamine confie à Buffon plus de 200 objets d’histoire naturelle.

Les deux savants sont membres de l’Académie des sciences et de l’Académie française, où La Condamine est élu en 1760. Le 12 janvier 1761, il est reçu par Buffon qui fait son éloge en se reconnaissant lui-même comme « un ancien ami, un confrère de trente ans, qui se félicite aujourd'hui de le devenir pour la seconde fois ».

 

La Condamine participe au grand projet de l’Encyclopédie (1751-1772), dans laquelle il signe quatre articles : Chirimoya (ou chérimolier), arbre originaire de la Cordillère des Andes, produisant un fruit au goût délicat (chérimole) ; Couronne, terme de tourneur ; Guyane ; Guayaquil, aujourd’hui la plus grande ville de l’Équateur.

Son nom est par ailleurs mentionné en référence dans plus de 40 articles de Jaucourt, D’Alembert, Daubenton, qui témoignent de la diversité de ses centres d’intérêt, et des disciplines qu’il a contribué à enrichir par ses descriptions : histoire naturelle (ornithologie, zoologie, botanique), géographie, physique, chimie, minéralogie, mécanique, astronomie, géométrie, grammaire.

 

Un esprit véritablement encyclopédique.

 

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