Julien Gracq en Ibérie
Le 10/12/2021 à 21h50 par Marc-Édouard Gautier
Résumé

Texte d'Israël Ariño

pour l'exposition Julien Gracq, l'œil photographique

 

 

L’invitation d’Emmanuel Ruben à collaborer à cette exposition consacrée aux photographies prises Julien Gracq entre 1960 et 1976 en Espagne et au Portugal me ravit à plus d’un titre. En quelque sorte, je ressens dans l’œuvre de Gracq une forme de lien avec l’une des dimensions de la photographie qui m’intéresse le plus : le temps.

 

Gracq s’est consacré à la contemplation, la contemplation comme capacité à voir au-delà de la surface des choses. Autant dans l’œuvre littéraire que visuelle, dans ses personnages que dans ses images, cette capacité à porter une longue attention est essentielle.
Son intention n’est pas d’objectiver ce qu’il observe, au contraire, son approche tend à montrer quelle est sa relation à ce qu’il observe. Les photographies de Gracq agissent sans aucun doute comme un miroir à ses images mentales. Il n’y a ici aucune photographie qui soit un fragment autobiographique. Et c’est là que nous trouvons un autre élément essentiel de son œuvre : la mémoire et tout ce que l’on peut projeter, imaginer ou fantasmer. Les vues des Monegros, des paysages lunaires aux tonalités apocalyptiques, une sorte de fin de civilisation, en sont un exemple parmi cette sélection de photographies. Ou encore la vue des Mallos de Riglos, une image elle aussi surprenante, peut-être parce qu’elle nous renvoie directement au monde des rêves, à la place que ces images accordent à l'aventure, au merveilleux.

 

Dans les images sélectionnées ici, je relèverais deux aspects qui d’une certaine façon confirment et soulignent cette passion de la profondeur et de la lenteur : le choix du point de vue et la temporalité flottante. Du premier, on peut déduire une certaine passion pour le voyage, avec l’obsession d’inclure la route et les poteaux électriques à ses prises de vue, et en somme, l’affirmation du voyage comme façon de faire s’écouler le temps d’une façon différente. Dans ces photographies, nous pouvons voir qu’il s’agit d’un voyage par des routes secondaires, de celles qui passent par les villages et vous invitent à baisser la vitre, de celles où vous pouvez descendre et humer le paysage.

 

 

Le second aspect que nous trouvons dans ses photographies, comme dans certaines de ses œuvres, est cette sensation de paralysie temporelle, d’espace imaginaire, d’inactivité. Nous observons dans beaucoup de ces photographies une certaine lenteur, Gracq fait osciller notre mémoire des lieux entre la reconnaissance géographique et le questionnement temporel, avec des images qui semblent avoir été prises vingt ans plus tôt qu'elles ne l'ont été en réalité. Cette transfiguration, qui opère et se renforce par les couleurs des clichés, nous pousse à interroger notre perception du paysage.

 

J’ai toujours pensé qu’une photographie devait être comme une phrase inachevée, qu’il faut toujours y laisser de la place pour une question. La photographie doit nous interroger, nous aider à nous poser de meilleures questions. Les images de voyages de Gracq nous emplissent d’indices qui se transforment en questions, en intrigues sur une expérience voyageuse et nous permettent de donner libre cours à notre imagination 

 

Une fois arrivés à ce constat, il ne nous reste plus qu’à nous demander quel photographe aurait été Gracq si la photographie avait été son principal moyen d’expression.

 

Israel Ariño

Traduction de l’espagnol : Caroline Bénichou
 

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