Les montagnes de Julien Gracq
Le 10/12/2021 à 21h48 par Marc-Édouard Gautier
Résumé

Texte de Martin de la Soudière

pour l'exposition Julien Gracq, l'œil photographique

 

 

On est en moyenne montagne, accessible donc et pas menaçante, sauf sur quelques clichés. Les photos montrent à chaque fois une série de plans qui rapprochent ou au contraire éloignent les montagnes du spectateur. Car la montagne ne constitue pas un milieu homogène : à chaque fois, les impressions diffèrent ; parfois captives des traces humaines ; parfois avec l’éloignement et l'austérité du paysage s’avèrent mobilisées par l’idée même de montagne avec sa charge de rudesse mais aussi d’accueil quand disparait en tant que tel le sommet, souvent pierreux, toujours lointain.


105. Vue sur la chaîne des Pyrénées
Dans le fond, dentelées, des montagnes bleues vous attirent. Tortueuse, une route, un chemin plutôt, semble vous y conduire. Carnet du petit chemin. Envie de l’emprunter. Une profondeur de champ avec ses trois échelles : toute proche, à distance, et lointaine. Au premier plan, une maison, une cabane plutôt, comme une sentinelle de cette vallée, modeste mais très présente à gauche de la photo. Cette maison dont le toit conserve des restes de neige est comme une ultime étape vers un là-haut, vers un plus loin. 

 

107. Paysage pyrénéen
Presque tragique, une vallée qui se resserre. Hostile à cause des falaises, celles-ci barrant la vue, obsédantes. Quelques traces humaines néanmoins : un poteau télégraphique, un fort, seules traces humaines dans ce paysage aride, voire ennemi, il semble résister voire s’opposer à toute pénétration. Et toujours, qui semble nous attendre, des montagnes boisées, bleu-vert, à la morphologie douce. Ces lointains, souvent incertains, Gracq les aurait aimés.   

 

 

126. Château de Montségur
Dans cette citadelle qui paraît imprenable, on peut imaginer ici la résistance des Cathares. C’est un paysage-histoire, selon l’expression de Julien Gracq. On aurait envie de grimper jusqu’au château, pour voir, à l’horizon, les environs cachés par le piton rocheux. Pour mettre, plusieurs siècles après, ses pas dans les pas de cette population persécutée. Là encore, un chemin y a sa place, qui conduit à la base des ruines du château de Montségur. Une invitation à le suivre, à l’emprunter pour gagner et mériter l’horizon. Mais, altier, rocheux à souhait, escarpé, et de ce fait lointain, hors de portée, le château semble résister à toute escalade, à toute prise.


260. Crête pyrénéenne
Une muraille inaccessible, elle a de quoi fasciner, dominant le haut d’une pente dont on peut détailler la végétation (genêts purgatifs, cytises, chênes liège, chênes kermès ?). La encore, des couleurs douces qui contrastent avec la blancheur, mais hostile, de la crête faite de rochers calcaires. Quoiqu’apparemment « naturelle », cette crête, on dirait un morceau de quelque forteresse, lointaine, hostile, elle nous résiste. Mais dont, en même temps, on voudrait percer le mystère. On pense là bien évidemment au Désert des Tartares ou au Rivage des Syrtes.


121. Château de Puilaurens
Tours fantomatiques sur fond de ciel bleu, qui ne va pas avec la rudesse des lieux !
Elles scandent une muraille calcaire, l’ensemble intrigue, voire fait peur, ou à l'inverse peut faire rêver. On verrait bien cette ancienne citadelle occupée par d'anciens soldats en garnison comme dans Le Rivage des Syrtes ou plutôt Le Désert des Tartares car il n'y a ni rivage, ni mer ! Au première plan une pente plantée de quelques arbres, qui introduit à la falaise, donnant malgré tout envie d'accéder à cette citadelle.

 

262. Maison pyrénéenne
C’est l’une des photos que je préfère dans la série pyrénéenne. L’humain y reprend sa place avec cette longue maison blanche presque nichée au pied d’un sommet. Sommet sans doute jadis habité par une garnison. Mais pourquoi ici ? Et, pour surveiller quoi ? Guet improbable, comme dans le Rivage des Syrtes. Sommet proche dans la photo, accessible, donc, et que l’on peut mentalement investir, mais au prix d’un effort d’escalade (Julien Gracq s’était-il livré à cet exercice ? on peut en douter…). Une belle continuité et un contraste assumé entre l’accueil rassurant des habitations et le côté sauvage du décor en arrière-plan.  

 

275. Route pyrénéenne
Belle photo, enfin apaisante : nul rocher, nul, précipice en vue. Photo très équilibrée. Une route conduit vers le fond d’une vallée. Une vallée large, aux teintes bleues une fois encore, ouverte, accessible. Un paysage j’allais dire complet, riche, dont les détails au premier plan signent et disent, non pas le « sauvage », mais une jachère, une occupation du sol incomplète. Mais, tout est dans la route, large et paisible, à emprunter en auto, comme le faisait Gracq avec sa sœur, plutôt qu’à pied. Lentement, à petits pneus, à petites doses. On pense ici à la lenteur de la progression du héros de La presqu’île.

 

51. Aubrac
On est là au cœur, dans un symbole de l’une des régions d’élection de Julien Gracq : « Tout ce qui subsiste d’intégralement exotique dans le paysage français me semble toujours cantonner là : c’est comme un morceau de continent chauve et brusquement exondé qui refait surface au-dessus des sempiternelles campagnes bocagères qui sont la banalité de notre terroir. Tonsures sacramentelles, austères, dans notre chevelu arborescent si continu, images d’un dépouillement presque spiritualisé du paysage, qui mêlent indissolublement, à l’usage du promeneur, sentiment d’altitude et sentiment d’élévation. » 
    Un territoire désolé, elliptique, minimaliste, tout en horizontalité. Des couleurs subtiles qui se répondent, vert au premier plan, et au fond de la photo, gris-bleu. Nulle présence de fermes, encore moins de village, seule une clôture discrète atteste l’utilisation de l’espace pour l’élevage des vaches de race Aubrac, petits points blancs qu’on aperçoit au loin. Une beauté minimum, des suggestions plutôt, le silence des hauts plateaux du Massif central – paysages qui attirent Gracq d’une façon impérieuse.
 

 

25. Saint –Véran
Ici, on sent moins la « patte » de Gracq, peu familier de la haute montagne. On est dans un village semble-t-il, mais pas dans n’importe lequel : à Saint-Véran, la commune la plus haute de France. Deux maisons se font face. Mais, altière, celle de droite, bien campée sur une pente sévère, symbolise à elle seule la haute montagne avec son immense balcon en bois, on ne voit que lui sur la photo, ce balcon crève les yeux, prolongement naturel de la maison elle-même. On se sent, on se sait là-haut, tout là-haut, la vie s’accrochant à la pente et disant l’occupation humaine – sûrement ici des agriculteurs. En contre-bas, une autre maison, dont on ne voit que le toit – mais il retient beaucoup moins de place dans la photo – lui fait face, qui indique et suggère, tout comme la maison à l’immense balcon, son insertion dans un village. Que cherche à nous dire Gracq, sinon que partout la vie peut se maintenir et subsister malgré les contraintes géographiques, ici celle de la pente et de l’altitude de la montagne ? 

 

19. Cimetière de Saint Véran
Cette photo ne parle pas vraiment de la mort, le cimetière donnant plutôt une impression de profondeur historique qui épouse la très longue histoire géologique, celle de la montagne.  Celle-ci, malgré le sommet – une crête plutôt – est comme adoucie par le velouté du paysage, velouté qui s'exprime par les deux plans qui nous sont proposés, la crête, altière, mais pas menaçante, et au premier plan une pente ravinée, qui donne envie de gravir la montagne sans trop d'effort.

 

Martin de La Soudière
 

Partagez cet article
Commentaires

Seuls les utilisateurs identifiés peuvent laisser un commentaire.

Me connecter à mon compte

Billets proches

Aucun billet trouvé