Jean-Adrien Mercier illustrateur : les portes du rêve
Le 09/02/2021 à 23h48 par Marc-Édouard Gautier
Résumé

En partenariat avec les Archives patrimoniales de la Ville d’Angers, dans le cadre des hommages et des remerciements pour la donation Sylvie Mercier, la bibliothèque municipale présente du 10 février au 22 septembre 2021 une exposition sur Jean-Adrien Mercier (1898-1995) comme illustrateur de livres.

Jean-Adrien Mercier, célèbre pour ses affiches de cinéma de l’Entre-deux-Guerres, pour ses publicités et ses albums pour enfants n’a jamais oublié son Anjou natal. Il y revenait toujours à la belle saison et s’y est établi définitivement à la fin de sa vie. L’Anjou et sa propriété de Châteaubriant à Sainte-Gemmes-sur-Loire ont toujours été au cœur de son inspiration.

Maquette d'affiche de cinéma pour La Femme invisible peinte par J.-A. Mercier (1933). Donation Sylvie Mercier aux Archives patrimoniales d'Angers. ©ADAGP 2021

 

Il voulait que son œuvre reste présente à Angers. En 2008, sa fille Sylvie a exaucé ce vœu en faisant donation à la Ville d’Angers, au service des Archives municipales, de soixante œuvres originales, de 1920 à 1991, qui forment une sorte de condensé de la carrière de l’artiste en présentant les différentes facettes de son art.

La donation a été exposée pour la première fois au public à Angers, salle Chemellier en 2010. En 2017, pour illustrer plus encore la variété d’inspiration et de techniques de l’artiste, neuf œuvres nouvelles ont été choisies en remplacement de certaines séries d’aquarelles. C’est cette nouvelle version de la donation qui est offerte au public, répartie en cinq thèmes : le peintre, l’affichiste de cinéma, le dessinateur publicitaire et le décorateur, présentés au Grand Théâtre (dès l'autorisation sanitaire de réouverture) ; l’illustrateur, à la Bibliothèque municipale.

Autour du tiers de la donation présenté à la bibliothèque Toussaint, une cinquantaine d’œuvres complémentaires de la Bibliothèque et des Archives, parfois rares, méconnues ou récemment découvertes retracent la carrière de l’illustrateur de livres au rez-de-chaussée tandis qu’un focus sur son œuvre pour enfants est présenté au 2e étage dans l’espace Jeunesse.

 

Maquette aquarellée de J.-A. Mercier d'une publicité sous forme de bande-dessinée pour le cirage Le lion noir remployant un personnage de l'album pour enfants, Les trois papillons roses. ©ADAGP 2021

 

Les débuts d’un illustrateur

Malgré la renommée de ses affiches pour le cinéma et pour la publicité, c’est en effet sous le nom d’illustrateur et non d’affichiste que Jean-Adrien Mercier se présentait le plus souvent. De fait, le monde du livre accueille et diffuse son œuvre toute sa vie.

Dès 1923, avant ses premières commandes d’affiches, ces gravures sur bois réalisées pour l’éditeur et relieur angevin André Bruel traduisent toute la verve populaire et l’ironie mordante de L’Entarr’ment du père Taugourdeau du poète régionaliste Marc Leclerc. Ces cycles narratifs restent rares avant 1937.

 

  

 

 

 

 

 

 

 

      

 

 

Maquette de reliure pour L’Entarr’ment du père Taugourdeau dessinée par Jean-Adrien Mercier et sa mise en œuvre sur une reliure mosaïquée par André Bruel. Angers, 1923. ©ADAGP 2021

 

Son art de la synthèse, son goût pour la représentation de la modernité et son sens de l’insertion du texte retiennent davantage l’attention des éditeurs qui lui commandent une centaine de couvertures de livres de poche ou de frontispices.

 

Le tournant de 1937-1938

L’année 1937 marque un tournant. À la veille de l’Exposition internationale des arts et techniques, Jean-Adrien Mercier pressent une évolution du goût : « la synthèse ayant atteint son apogée, notre œil a déjà besoin de plus de détails ». Il cherche à sculpter davantage les jeux de la lumière sur ses visages et ses paysages. Sa palette se diversifie, ses veloutés et dégradés s’enrichissent. La diversification de ses techniques (pointe sèche, eau-forte, impressions offset ou quadrichromique) et l’accompagnement de récits par de grands cycles iconographiques servent ces recherches.

Les éditions bibliophiliques des romans de Frédéric Soulié, Le Lion amoureux et de Léon Lascoutx, Tome VIII sont fondatrices de la délicatesse du « style Mercier » qui prévaut dans son œuvre d’illustrateur. Le prospectus de vente du Lion amoureux annonce : « de la gentillesse, de la grâce, de la mélancolie, et une image parfaite de la société de cette époque (...). Un jeune artiste plein d’avenir, qui malheureusement ne se produit pas assez souvent dans le livre, a illustré ces petits tableaux avec beaucoup d’esprit et de talent ».

                     

Eau-forte pour le Lion amoureux (à gauche). Aquarelle non retenue pour La Naïade endormie (à droite). ©ADAGP 2021

 

Fin 1938, le très attendu supplément de Noël de L’Illustration, traditionnel feu d’artifice de couleurs de la célèbre revue, impose son style au grand public par l’audace du rapport de l’image au texte, la présence obsédante des crinolines, l’onirique fa presto à la Fragonard et la vivacité de la palette.

Ces grands cycles picturaux littéraires trouvent leur apogée avec l’édition de luxe de La Chatte de Colette en juin 1945. Avec subtilité, le traitement de ce roman tragique affirme la profonde filiation de Jean-Adrien Mercier avec les grands maîtres du XVIIIe siècle, Fragonard, Watteau, dans le refus de peindre la face sombre de la vie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Colette, La Chatte, lithographies de J.-A. Mercier, Fayard, 1945. ©ADAGP 2021

 

Les albums pour enfants

1938 ouvre aussi quarante ans de fidèle collaboration avec les gérants nantais de l’Imprimerie Moderne, Beuchet et Vanden Brugge. L’époque est au triomphe de Babar ; les éditeurs cherchent de nouveaux Jean de Brunhoff (1899-1937). Pour sa fille Sylvie née en 1934, Jean-Adrien Mercier imagine des histoires. À la veille de la guerre, en juillet 1939, Mercier travaille avec Beuchet sur les premiers croquis d’un conte de fées, Les Trois papillons roses afin de créer une collection d’albums pour enfants. Le conte est imaginé par Mercier, mais c’est Bernard Roy (1888-1953) qui le met en texte. Il en va de même pour le récit de Diki, le rouge-gorge enchanté tout ancré dans son cher Anjou. La collection ne voit le jour qu’en 1942. Par son luxe, avec ses tirages de tête numérotés sur vélin, et par la qualité de la langue, elle revendique d’initier les enfants à la bibliophilie. La collection est un succès dont témoignent les multiples rééditions, les produits dérivés (exposés dans l’espace Jeunesse au 2e étage) et les souvenirs émus qu’en gardent les enfants du baby-boom.

 

Le retour à la synthèse

Dès 1946-1947, plusieurs abandons de projets, notamment avec Maurice Genevoix et Jean de La Varende marquent un ralentissement de la création des cycles picturaux narratifs. Jean-Adrien Mercier avoue plus tard : « je n’aimais pas illustrer d’après ce que racontent les littérateurs, ils ne pensent pas visuels ».

La prédilection de l’affichiste et du publicitaire pour la synthèse se réaffirme. Elle le porte vers les grands poètes classiques, La Fontaine et Musset, ou les anthologies d’extraits d’Ovide ou d’Anatole France. Pour les enfants, ce sont Nos vieilles chansons et des versions abrégées des contes de Perrault. Jean-Adrien Mercier excelle dans la traduction en image de ces textes brefs. « Mercier réalise une opération un peu magique… Ses images illustrent plus encore le sentiment de la chanson que la chanson elle-même. C’est leur âme qu’il étreint » (La Varende).

Dans ce même après-guerre, les volumes publicitaires de prestige et bientôt les séries de menus pour les croisières de la Home line continuent de diffuser largement son art, de révéler le peintre paysagiste ou le merveilleux inventeur de caprices architecturaux et de véhicules imaginaires.

 

Alfred de Musset, Nuit de décembre, aquarelle de J.-A. Mercier imprimée en offset (1946). ©ADAGP 2021

 

Le triomphe de l’image

Toujours attaché à peindre pour les livres, Jean-Adrien Mercier se détache de plus en plus du texte au point de le faire disparaître. L’histoire de Christophe Colomb en six menus pour la Home Line en 1974 en est comme un premier exemple. Cette évolution se parachève dans les deux grands albums de 1986 et 1990, Loire enchantée et Rêves. L’artiste y narre toute la féérie de ces rêves en revisitant avec un plaisir manifeste les thèmes anciens de son œuvre. Les images y règnent sans ombrage, précédées chacune seulement d’une page de titre qui suscite l’interrogation puis l’émerveillement. Jean-Adrien Mercier n’avait-il pas avoué en 1939 que « son plaisir secret ... serait d’illustrer ces livres de bibliophiles qu’on regarde plutôt qu’on ne les lit, qu’on caresse plutôt qu’on les dévore » ?

 

Sylvain Bertoldi, directeur des Archives patrimoniales

Marc-Edouard Gautier, directeur adjoint de la Bibliothèque municipale

Commissaires de l'exposition

 

Informations pratiques :

Exposition à la bibliothèque municipale, 49 rue Toussaint, 49100 Angers, du 10 février au 22 septembre 2021 (rez-de-chaussée et espace Jeunesse). Entrée libre. Horaires d’ouverture de la bibliothèque.

Exposition au Grand Théâtre d’Angers, place du Ralliement, 49100 Angers, de la mi-mai environ au 31 décembre 2021.

Catalogue de l’exposition : Sylvain Bertoldi et Marc-Édouard Gautier, Jean-Adrien Mercier, la porte du rêve. Angers : Ville d’Angers, 2021. 132 pages. ISBN : 978 2 35293 073 0 (en vente à partir de la mi-mai 2021).

 

Les usines de Pont-à-Mousson, aquarelles de J.-A. Mercier (1954). ©ADAGP 2021

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