Parallèlement, Jean Fayard lui propose avec Colette d’illustrer de trente lithographies une réédition à tirage limité de La Chatte qui paraît en juin 1945. Ce programme généreux et la tonalité du texte bien éloignée du romantisme ou de la féerie des œuvres précédentes offrent à Mercier l’occasion d’exprimer toute la diversité de son talent en une de ses plus belles réussites bibliophiliques. Sur les bandeaux et culs de lampe, les compositions florales esquissées par touches de couleur côtoient mouche et papillon traités avec une précision d’entomologiste. Les paisibles persiennes vertes du pavillon de Neuilly alternent avec les sujets les plus modernes, automobiles et architectures d’immeubles contemporains traitées en grands aplats de couleurs. Quelques traditionnelles études de nu succèdent à une représentation surréaliste des apparitions successives d’un rêve.
La Chatte présente également une illustration en surimpression sur le texte, qui s’inscrit dans une pratique qu’affectionne particulièrement Mercier entre 1942 et 1946 pour répondre à son souci de l’articulation du texte et de l’image, de la couleur et du noir et blanc. Ce jeu graphique, alors peu habituel, trouve un traitement particulièrement réussi dans La Chatte. Jean-Adrien Mercier refuse de mettre en image le moment crucial du roman où la chatte, dans un sauvage feulement, dénonce à son maître la haine que lui voue sa jeune maîtresse qui vient d’essayer de la tuer. Pour exprimer subtilement le tragique de la scène où achève de se briser le couple de jeunes mariés, l’artiste laisse, sur le texte lui-même, l’empreinte humide et accusatrice des pattes de la chatte, la preuve de sa peur, « la sueur de la peur, la sueur du chat, la seule sueur du chat ». Tout l’art de la synthèse efficace et suggestive du grand publicitaire ressurgit ici ! Mais c’est aussi un témoignage remarquable de la profonde filiation intellectuelle qui rattache Mercier aux grands maîtres du XVIIIe siècle, Fragonard, Watteau, dans leur refus de peindre le côté sombre de la vie, car, plutôt que d’illustrer le désarroi des acteurs de la scène, et comme dans l’espoir que leur amour survivra, Mercier choisit de présenter, face aux empreintes de la chatte, les jeunes époux au balcon, devant les feux d’artifices, tendus vers la quête d’une solution ou d’une décision.
Exposition virtuelle créé à l'occasion de l'exposition "Jean-Adrien Mercier : la porte du rêve. Donation Sylvie Mercier" présentée au Grand Théâtre d'Angers jusqu'au 31 décembre 2021 (affichiste, publicitaire et décorateur) et "Jean-Adrien Mercier l'illustrateur" à la médiathèque Toussaint du 10 février au 22 septembre 2021.
Commissariat : Sylvain Bertoldi, conservateur en chef du patrimoine, directeur des Archives patrimoniales de la Ville d'Angers. Marc-Edouard Gautier, conservateur en chef, responsable des fonds patrimoniaux des bibliothèques municipales d'Angers.
Conception et textes : Susana Pereira Tavares pour la Bibliothèque municipale d'Angers, d'après l'étude de référence de Marc-Edouard Gautier, chapitre 3 du catalogue de l'exposition Jean-Adrien Mercier, la porte du rêve, Angers, 2021, p. 34-51.
Numérisation des documents : Bibliothèque municipale d'Angers