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  • La geste des comtes de Dammartin

La geste des comtes de
Dammartin
Une acquisition exceptionnelle

Un récit de chevalerie

Histoire des comtes de Dammartin

1500-1503 (Rés. Ms. 2320)

Manuscrit original enluminé d’un roman de chevalerie, La geste des comtes de Dammartin a été écrit vers 1500-1503 par Nicolas de Houssemaine, doyen de la faculté de médecine d’Angers, pour Jean de Chabannes, comte de Dammartin.


Grâce à son acquisition la bibliothèque municipale d'Angers a fait revenir ce manuscrit en France après trois siècles passés en Angleterre et quelques années aux Etats-Unis !     

Une acquisition exceptionnelle d’intérêt national réalisée en 2012.

Il n'existe qu'un autre exemplaire de cette histoire, conservé à la BnF. Le manuscrit d'Angers est l'exemplaire de dédicace.


Le récit, présenté comme historique, est une version abrégée d'une chanson de geste tardive, Theseus de Cologne, censée éclairer le comte de Dammartin sur les origines de sa famille et sur sa parenté avec différentes dynasties royales. Elle met en scène un Assaillant, premier comte de Dammartin, et son fils Guérard sous le règne du roi Dagobert et de son fils Loys.

      

Un auteur angevin

Le texte de L’histoire des comtes de Dammartin n’était connu jusque récemment qu’à travers une unique copie anonyme réalisée entre 1504 et 1511 pour la seconde fille de Jean de Chabannes, Avoye. Cette copie est conservée à la Bibliothèque nationale de France (fr. 4692). Le manuscrit acquis par la bibliothèque d’Angers est l’exemplaire original de présentation de ce roman. Il s’ouvre sur un prologue absent de la copie de la BnF, où l’auteur révèle son nom, Nicolas de Houssemaine.         

Houssemaine, l'auteur, représenté agenouillé à droite du trône : il offre son livre à Jean de

Chabannes


Né près d’Alençon, Houssemaine est connu comme docteur régent de la faculté de médecine d’Angers de 1506 à sa mort en 1523. Fondateur et bâtisseur de la première chapelle de La Daguenière en 1518, il a été inhumé dans l’église Sainte-Croix à Angers (actuelle place Sainte-Croix) dans une chapelle pour laquelle il avait offert un vitrail le représentant au milieu des grands médecins de l’Antiquité.      
           

On ne lui connaissait jusqu’à présent qu’une seule œuvre, le Régime singulier contre la peste, court traité de médecine, paru en 1514 et plusieurs fois réédité avec les œuvres de Jean Goevrot, médecin de François Ier. Le manuscrit d’Angers s’avère donc être la première œuvre du médecin Nicolas de Houssemaine. Il est destiné à l’un de ses patients, Jean de Chabannes, comte de Dammartin, qu’il veut remercier par ce livre de plusieurs de ses bienfaits.

La première page est enluminée d’une grande scène représentant Houssemaine offrant son livre à Jean de Chabannes. Cette peinture nous offre le plus ancien portrait connu de médecin et d’universitaire angevin.

      

Hommage à son protecteur

Le premier possesseur de ce livre est Jean de Chabannes, comte de Dammartin (1464-1524). Il est peint sur la page de dédicace, trônant sur une grande chaire, au milieu des siens. Malgré ses deux mariages avec des femmes de sang royal, son parcours fait pâle figure à côté de la carrière prestigieuse de son père, Antoine de Chabannes, compagnon d’armes de Jeanne d’Arc, chef des Ecorcheurs, et l’un des plus grands capitaines et grands officiers des rois Charles VII et Louis XI.

Comme pour compenser sa mauvaise fortune, Jean de Chabannes se réfugie dans la gloire de ses ancêtres dont il fait exalter la vaillance à travers plusieurs livres manuscrits spécialement créés pour lui (conservés à la BnF et au château de Chantilly). Le récit écrit par Houssemaine est de ceux-là. Dans son prologue, l’écrivain annonce vouloir éclairer le comte de Dammartin sur les origines historiques de sa famille et sur sa parenté avec différentes familles royales.

De fait, le récit, présenté comme historique, est une version réduite originale d’une chanson de geste tardive, Theséus de Cologne, où de nombreuses intrigues s’entremêlent à la façon des développements les plus tardifs de la geste arthurienne. Cette œuvre met en scène, parmi de très nombreux personnages, un mythique Assaillant, comte de Dammartin, et son fils Guérard.

A la fin de sa vie, Antoine de Chabannes avait déjà fait réaliser pour sa propre bibliothèque un roman abrégeant l’histoire de Theséus de Cologne en la centrant sur la vaillance des premiers comtes de Dammartin (BnF, fr. 15096). Pour le fils d’Antoine, Houssemaine abrège encore l’œuvre. Sans omettre leurs exploits chevaleresques au service du roi de France, Clovis II, fils de Dagobert, il la centre davantage sur les alliances prestigieuses qui leur permettent de recevoir en récompense le comté d’Anjou, le royaume de Bretagne et de devenir, à la quatrième génération, héritiers de l’empire de Rome et des royaumes de Jérusalem et de Syrie.

      

Portrait de Jean de Chabannes, trônant


Les possesseurs du manuscrit

Double page avec lettrines peintes

Jean de Chabannes n’a dû posséder ce livre que peu de temps avant sa mort.


Il passe ensuite entre les mains de sa fille aînée, Antoinette, de son époux René d’Anjou, seigneur de Mézières (petit-fils de Charles III d’Anjou, comte du Maine, frère cadet du roi René) puis de leur fils Nicolas d’Anjou, comte de Saint-Fargeau.  


Bientôt sorti de la famille, on le retrouve au début du XVIIe siècle en diverses mains, notamment celles de Valentin Conrart (1603-1675), premier secrétaire perpétuel de l’Académie française.


Sa trace se perd au XVIIIe siècle avant qu’il ne reparaisse dans la collection du grand bibliophile britannique Richard Hebert (1773-1833).


Racheté en 1836 par le célèbre collectionneur sir Thomas Philipps (1792-1872), mis en dépôt à la British Library, conservé par la famille Fenwick, héritière de Thomas Philipps, il fait partie du dernier lot de manuscrits de cette fabuleuse bibliothèque mis en vente chez Christie’s à Londres le 7 juillet 2006.


Acquis depuis par Sam Fogg et Sandra Hindmann (galerie Les Enluminures, Chicago / Paris / New-York), il a été présenté dans plusieurs foires et salons internationaux ces dernières années, avant d'être acheté par la bibliothèque municipale d'Angers.

      

Généalogie de Jean de Chabannes

Généalogie publiée dans le Dossier de l'art n°213 (© M-E Gautier)


Le récit : en l'an 630...

La geste des comtes de Dammartin s’ouvre en l’an 630 sous le règne du roi Dagobert. Elle commence par vanter la part prise par Assaillant, comte de Dammartin, dans les hauts faits du roi Dagobert. Faisant pleine confiance à ce fidèle conseiller, le roi le charge de former et de diriger son fils et héritier, Loys de France, le futur roi Clovis II, dans ses premières armes. Différentes aventures mènent Loys et Assaillant à Cologne puis à Rome. Plus tard, lors d’une bataille près d’Antioche, Loys de France et ses compagnons d’armes, Théseus, empereur de Rome, et Assaillant, sont trahis par Lambert, comte d’Anjou, qui les livre aux Sarrasins.

Lambert, de retour en France, où vient de mourir Dagobert, rassemble à Paris les princes du royaume pour leur prouver « par faulx tesmoings que monseigneur Loys de France, Assaillant et Theseus, empereur de Romme, avoient esté tuez sur les sarrazins ». 

Les princes se partagent alors le royaume entre eux, laissant Paris et sa région à Lambert d’Anjou. 

Se croyant veuve de Loys de France, Baudour vient réclamer son douaire devant la cour. Mais par de faux témoignages, Lambert parvient à la faire condamner soit à l’épouser, soit à lui laisser son douaire. C’est alors que survient Gadifer, fils de l’empereur Théseus : « Quant Gadifer vit la sentence donnée, il se exclama contre la justice et leur desclara que le roy Loys n’estoit pas mort, mais luy et Assaillant avoient esté trahiz par icelluy Lambert. Et pour approbation de verité se offrit combatre contre icelluy Lambert. La court se esmerveilla du cas et requist plus a plain estre informée ».    
Délivré des prisons d’Antioche et rentré en France, Loys de France accompagné d’Assaillant de Dammartin écrase devant Soissons l’armée de Lambert d’Anjou et de son allié Sanson, roi de Bretagne. 

Loys, enfin sacré roi à Reims, donne à Assaillant de Dammartin le comté d’Anjou et le royaume de Bretagne. La paix intérieure rétablie, tous deux repartent lutter contre le roi d’Antioche.   

Guérard de Dammartin échange alors Geffroy de Vermandois contre la reine Baudour, « laquelle royne fut menée oudit chasteau de Dampmartin, ou trouva la mère d'icelluy Guerard qui la recueillit très honnourablement ».


Loys de France et Assaillant de Dammartin étant entre-temps rentrés en France, diverses manoeuvres s'ensuivent contre Geffroy de Frise. Au cours de l'une d'elles, Guérard de Dammartin captubre Colombe, l'épouse de Geffroy de Frise et l'emmène au château de Dammartin.


Geffroy de Frise met alors le siège au château de Dammartin. 


« Guérard, fort embrasé de la beaulté de la dame Colombe, royne de Frise, [propose de] jouxter a oultrance contre Geffroy, roy de Frise (...). [Guérard] offroit tel combat espérant mectre a mort icelluy Geffroy et par ce espouser sa femme. (...) Ilz entrerent en champ de honneur, où quel d'un coup de lance fut tué Geffroy, et partant icelluy Guerard parvint a ses fins et espousa la royne de Frise ».



      

Complot et conquête

Alors que Nabugor de Hautefeuille, ancien allié de Geffroy de Frise, négocie une paix avec le roi Loys de France, Régnier, fils de Gadifer, et Othon duc d’Orléans découvrent la duplicité de Nabugor. Avec la complicité de quatre chambellans de Loys de France, Nabugor tient en effet son armée en embuscade dans un bois, prête à tuer Loys, une fois la paix signée. 

« Quant [Régnier et Othon] arrivèrent près de l'abbaye où estoit le roy Loys, trouvèrent l'un des traistres qui alloit quérir l'armée de Nabugor, laquelle estoit en ung boys en embusche, prestre d'aller mectre a mort le roy et tous ses gens. Lequel traistre ils [mirent] à mort. Et icelluy Regnyer print la teste d'icelluy, la ficha en une lance. (...) Entrerent eulx deux en la chambre du roy en laquelle icelluy roy de France, Théseus, Assaillant, son fils Guérard, Nabugor et plusieurs autres grans seigneurs estoient a table. Presenterent au roy la teste du traistre en luy manifestant la traïson. Chascun se mist en deffence, Nabugor fut prins et après decapité et son armée toute desconfite par les gens du roy ».

Son royaume enfin pacifié, le roy Loys apprend la capture du pape, retenu à Antioche. Il entreprend alors une nouvelle expédition contre Antioche. 
« Mais pour tant que ils n'avoient pas suffisantes pécunes (...), fist icelluy roy Loys descrouvrir l'église de monseigneur sainct Denis pour faire monnoye de l'argent dont son père Dagobert l'avoit fait couvrir (...) dont d'une partie il soudoya ses gens d'armes et l'autre partie il donna aux povres car adonc estoit grande famine au royaume ».

Après les nouveaux exploits de Guérard de Dammartin au cours de cette expédition, un subtil jeu d'alliance permet à son petit-fils Guyon de devenir l'héritier de l'empire de Rome, des royaume de Jérusalem et de Syrie et bien sûr du comté de Dammartin.


Le roy Loys fait découvrir la toiture de Saint-Denis pour financer une expédition et délivrer le pape - ff.51v-52


Zoom sur les six pages peintes

Une œuvre d'art : l'œuvre de deux peintres parisiens

Des peintures lacunaires

Le manuscrit conserve encore six pleines pages peintes. Sept autres ont malheureusement été arrachées, probablement avant la vente de 1836. Ces enluminures sont l’œuvre de deux peintres parisiens.

Le Maître d’Etienne Poncher est l’auteur des encadrements architecturaux de style encore très gothicisant malgré quelques premiers chapiteaux renaissants.
                

Les scènes historiées sont l’œuvre du Maître des Entrées parisiennes. Cet artiste prolifique, actif à Paris entre 1490 et 1520, doit son nom de convention à deux célèbres manuscrits qui ont servi à caractériser son style, l’Entrée de la reine Marie Tudor à Paris en 1514 (Londres, British library, Cotton Ms Vespasian B II) et le Sacre, couronnement, triomphe et entrée de Madame Claude de France en 1517 (BnF, fr. 5750).

Sorte d’émule et de concurrent de Jean Pichore, figure majeure de l’enluminure parisienne de l’époque, il aime créer des illustrations originales pour des œuvres littéraires ou historiques comme celles de Pétrarque, Marco Polo, l’Histoire de la Toison d’or ou le récit des funérailles d’Anne de Bretagne (BnF, ms. fr. 4692).   
        
Son illustration de L’histoire des comtes de Dammartin offre un bel exemple de son inventivité. C’est également lui, en effet, qui, après avoir peint l’exemplaire d’Angers, a orné d’un cycle entièrement différent la copie de ce roman réalisée pour la seconde fille de Jean de Chabannes. La rapidité d’exécution qui se perçoit dans ces scènes à travers la perspective approximative des architectures et la représentation sommaire des armées et des personnages secondaires ne sont pas un obstacle au succès du peintre. Alliée à son constant souci de renouvellement, elle est un atout qui lui vaut nombre de commandes et lui permet d'illustrer encore pour Edmond de Prie et Avoye de Chabannes un Séjour d'honneur d'Octavien de Saint-Gelais. (BnF, ms. fr. 12783).
            

Une œuvre d'art : une reliure exceptionnelle

La peinture de la scène de dédicace présente un livre relié d’un cuir rouge orné de simples filets estampés à froid. Etait-ce la reliure d’origine ou une simple fantaisie du peintre ? Toujours est-il qu’un document inédit de 1523 décrit la reliure telle qu’elle apparaît aujourd’hui.


La reliure d’ais (planches) de bois présente une exceptionnelle couvrure de la plus grande rareté, composée d’une alternance de six bandes de velours jaune et pourpre. L’emplacement de dix boulons métalliques aujourd’hui disparus se distingue encore. Ils protégeaient le velours de tout frottement.

Ce type de reliure appelé parfois de « velours bigarré » est des plus rares. Il n’est attesté que dans la bibliothèque royale. Très peu d’exemplaires subsistent.

Il est probable que cette reliure ait été commandée par Jean de Dammartin car elle offre un double rappel de la composition des armoiries de Jean de Dammartin (d’argent à trois fasces d’azur) et des couleurs héraldiques des armes aux fleurs de lys de sa seconde épouse, Suzanne de Bourbon-Roussillon.      

      

La reliure de velours


Bibliographie

Articles :


  • GAUTIER Marc-Edouard. Le manuscrit de Houssemaine, un manuscrit angevin d'intérêt international. Dossier de l'art, 2013, n° 213, p. 60-69.




Journées d'études :


  • Autour de la Geste des comtes de Dammartin (Bibliothèque municipale d'Angers, ms. 2320) : journée d'étude, Angers, Maison des Sciences Humaines, 21 novembre 2013. (Actes à paraître)


  • Les grandes heures des comtes de Dammartin. Les manuscrits d'Antoine de Chabannes (1408-1488) et de son fils Jean (1462-1503) : colloque, Meaux, Médiathèque Luxembourg, 18 mars 2017. (Actes à paraître)

Crédits

Textes : Marc-Edouard Gautier

Numérisation des documents : François Baglin et Galerie les Enluminures (Chicago, Paris, New York)